dimanche 10 janvier 2010

L'éducation à l'éducation

Les systèmes éducatifs français et, pour ce que j'en sais, dans la plupart des pays de l'OCDE «buttent» depuis 30 ans à assurer une progression du niveau global de la formation des jeunes. Une limite aurait été atteinte, par exemple le nombre de jeunes bacheliers ? malgré les politiques volontaristes qui se sont succédées, soit au niveau national, soit au niveau européen («stratégie de Lisbonne»).

La thèse que je veux exposer est que cette situation est, en fait, acceptée et implicitement voulue. Les travaux prospectifs sur l'emploi menés au milieu des années 2000 montrent un consensus sur la bipolarisation des besoins :
  • des emplois de plus en plus qualifiés, d'une part,
  • le maintien d'un volant important d'emplois non qualifiés, d'autre part.
Ce second besoin, associé au vieillissement de la population (pour être très clair : il n'y a pas besoin de faire des études poussées pour torcher les vieillards dans les maisons de retraite), justifie socialement, à mon sens, le blocage du système éducatif.

Pour modifier cet état de fait, il faudrait une politique d'éducation à l'éducation, visant notamment les futurs et nouveaux parents*. Il m'a été objecté qu'une telle politique serait attentatoire à la responsabilité et à la liberté individuelle des parents. Oui, certainement ... mais serait-ce très différent de l'éducation à l'hygiène, de l'accompagnement de la grossesse, des conseils en matière de santé ou d'alimentation des bébés prodigués aux jeunes mères, etc. ? Ces questions qui semblent aller de soi dans nos sociétés occidentales ne datent que de quelques générations, tout au plus un ou deux siècles.

L'idée de reconnaître que le bébé est une personne, en tout cas un être capable de communiquer dès la naissance, voire avant, a 30-40 ans (merci à Françoise Dolto**). Cette idée n'est, d'ailleurs, pas partagée par toutes les couches de la société et, semble-t-il, pourrait régresser. En revanche, elle a montré qu'il est possible en quelques années de modifier le comportement des familles et des professionnels sur un sujet où les préjugés sont construits et transmis depuis des millénaires.

Par ailleurs, il est connu que les meilleurs résultats scolaires sont obtenus par les familles d'enseignants. Ce corps n'est pas constitué depuis suffisamment de générations pour qu'on puisse estimer qu'il y a sélection naturelle ... que les enfants d'enseignants seraient, par nature, plus aptes que les autres à bénéficier de l'enseignement.
Il y a évidemment une très forte dimension sociale dans les échecs scolaires, mais les résultats dépendent d'autres facteurs comme la région, le sexe, etc. Autrement dit, la «fatalité» est relative et, donc, peut être combattue.

J'en reviens à ma thèse initiale. Si cette situation perdure depuis 30 ans ... c'est qu'elle est globalement acceptée et implicitement voulue par certains. Il n'est qu'à voir les cris d'orfraie poussés à propos du seuil de 30% de boursiers dans les grandes écoles pour se rendre compte que Coluche a toujours raison : certains sont plus égaux que les autres !

Une sous-thèse porte sur l'éducation des garçons. L'idée est que l'attente des familles vis-à-vis des garçons, encore plus s'ils sont les ainés de la fraterie, va les handicaper sur le plan scolaire. Selon les milieux et leurs préjugés cela fonctionnerait de manière opposée mais aboutirait à des résultats similaires. Soit, le milieu estime que les garçons vu leur rôle futur de producteur manuel n'ont pas besoin d'apprendre à l'école***, soit, le milieu leur demande de produire des résultats largement au-delà de leurs aptitudes du moment. Dans tous les cas, cela produit les échecs scolaires observés.

En outre, tant que le débat restera cantonné au rôle de l'école et des enseignants cela signifie, à mes yeux, qu'il n'y a pas de volonté politique et sociale de changer la situation. En effet, cela revient à occulter le rôle des parents et, surtout, que celui-ci peut faire l'objet d'un apprentissage.
Le débat au niveau de l'école présente également l'immense avantage socio-politique d'avoir désigné les «coupables».

En guise de conclusion provisoire, je trouve qu'il serait largement temps de se préoccuper de l'école de la «première chance», c'est à dire l'école des parents - comme disait Makarenko - alors que l'école de la «deuxième chance» n'est qu'une mesure de mauvaise conscience.



*) «une jeune mère reçoit à la naissance de son premier enfant des conseils pour assurer sa santé et son alimentation ... mais rien sur l’éducation». Jean-François Amadieu au cours de l’émission « 7-9 » de France Inter du 24 mai 2008 avec Fadela Amara.
**) et beaucoup d'autres ...
***) voir les travaux québécois, déjà cités, qui proposent des pistes corrèlant stéréotypes sexistes, niveau d’éducation des parents et différences de réussite des garçons et des filles - articles de Pierrette Bouchard et Jean-Claude ST-Amand.

1 commentaires:

Anonyme a dit…

Thanks for the awesome article, I love reading it!